Le promeneur qui flâne regarde le monde pierre par pierre, chemin par chemin, fleur par fleur, maison par maison. Baron-Renouard aime aussi se promener en flânant mais, au cours des années de guerre passées dans l’aviation, il a contemplé le monde de très haut dans le ciel, campagne par campagne, réseau routier par réseau routier, ville par ville. Si c’est bien le même monde que voient promeneur et aviateur, sa représentation n’en diffère pas moins profondément, selon que l’on est plutôt l’un ou plutôt l’autre.
Baron-Renouard, lui, est plutôt aviateur, imprégné de longues heures de solitude dans la nuit d’un bleu sans fond. Il connaît les sorties de l’ombre, débouchant sans transition sur l’Éblouissement de la lumière du soleil. Il a traversé le silence gris des nuages et ressenti la l’onde du ciel et de la terre autour de lui, quand l’avion tanguait ou virait sur l’aile.
Tout cela peut s’exprimer sous forme poétique ou sous forme plastique. En chaque aviateur digne de ce nom, il doit y avoir un Saint-Exupéry ou un Baron-Renouard qui sommeillent. C’est dans cette optique que l’on peut aborder de plain-pied l’oeuvre de Baron-Renouard. Sans conteste, il se situe comme un peintre de notre époque, celle de l’aventure spatiale.
« Entre ciel et terre », « Les ailes du vent», « Espace », « Clarté du matin », ce sont, en grands formats, les impressions ressenties quand, loi.n de la terre, il éprouvait le-sentiment de se confondre avec l’espace. Harmonies claires structurées par des taches sombres.
C’est là une des constantes de l’oeuvre de Baron-Renouard : traduire en langage plastique un espace infini, mais un espace où l’homme lutte sans cesse pour ne pas perdre l’initiative du cap choisi au départ. Il ne s’agit pas d’une contemplation uniformément bleue, rose ou blanche, mais d’une action qui se heurte aux structures matérielles du monde des hommes. Une action inséparable de la méditation du peintre. Rien n’est plus difficile à exprimer et, pour l’avoir réussi, Baron-Renouard peut .stre considéré à juste titre comme l’un des premiers peintres contemporains.
Ses moyens ? D’abord il a le don inné d’être « peintre ». Si cette condition reste nécessaire, elle n’est pas suffisante. Il faut bien du travail pour maîtriser la technique qui seule permet de s’exprimer dans le langage choisi, comme on le veut, sans être arrêté par l’incapacité matérielle de manier l’instrument de sa pensée, de ses sentiments.
De ses premiers maîtres, Brianchon et Legueult, Baron-Renouard a acquis la science des couleurs pures et transparentes. Les couleurs de la Bretagne où il est né, où chaque année il aime revenir, et, par une étrange rencontre, les couleurs du Japon que Baron-Renouard considère un peu comme son second pays.
Travaillant par successions de ‘touches légères, il « nourrit » sa toile. Puis, par grattages, il fait vibrer la matière en révélant des transparences qui ne doivent rien au hasard. Car Baron-Renouard n’accepte pas d’être le jouet du hasard; comme tous les peintres authentiques, il est un artisan modeste et consciencieux, mettant sa fierté à connaître son métier. Il sait ce que l’on peut attendre des couleurs, il sait aussi ce que l’on peut en craindre quand, placées au hasard sur la toile, elles donnent une impression décorative, mais seulement décorative.
La structure de ses peintures est une autre constante de Baron-Renouard. Des études approfondies sur le nombre d’or lui ont permis d’assimiler les grandes règles de la composition classique. Alors, les règles maîtrisées, il a pu se libérer de leur servitude, tout en les respectant, ce qui n’est donné qu’aux meilleurs. Cette liberté lui permet d’évoquer avec force la simplicité originelle du monde. « Genèse », « Marée de feu », « La création », visions d’un univers simple et puissant, tel qu’il a dû surgir de la première nébuleuse. Le chaos des premiers âges de la terre, mais un chaos où l’on sentait déjà la volonté organisatrice d’un esprit créateur. Dans ces vastes étendues où commençaient à se dessiner des formes, Baron-Renouard se sent à l’aise. Il n’est pas fait pour les dentelles des fêtes galantes dans des jardins trop jolis. Son pays est bien la Bretagne: des formes sombres s’y entrechoquent dans une lumière où passent toutes les gammes des gris transparents. C’est dans la notion de force que l’on trouve une troisième constante de l’oeuvre de BaronRenouard, une force qui donne vie aux solides structures, aux couleurs lumineuses.
Cette force passe comme une musique dans ses peintures. « Chante le matin» ! La musique se libère du silence de la nuit, jaillit dans l’aube.
Elle s’organise : c’est «la fugue» qui entraîne le monde dans un large mouvement, c’est l’allegro de « la campagne en fête ».
Puis vient le temps des fins d’après-midi; les violets du soir retiennent encore un peu l’or et le bleu du jour. « Play piano, play »! Profite des dernières lueurs de la lumière qui s’en va!
Mais chaque jour ne doit-il pas s’achever? Pourquoi le regretter! Bien au contraire. Pour Baron-Renouard, c’est l’heure où loin du bruit, loin des foules et des accords vibrants, il est bon de retrouver en soi le mystère que nul n’élude et qui, seul, ne sera jamais dévoilé.
« Sagesse» : harmonie claire à perte de vue sur l’océan. Voilà l’univers de Baron-Renouard, tel qu’on le retrouve dans ses peintures, ses mosaïques et ses tapisseries. Certains le considèrent comme l’un des chefs de file du « naturalisme imaginaire abstrait ». Pourquoi pas! Mais c’est bien compliqué et les classements n’ont au fond que peu d’importance quand il s’agit des meilleurs peintres. Et puis, mettre Baron-Renouard bien en ordre dans un fichier, ce ne serait guère imaginable pour lui qui vit au rythme des grands mouvements de la Nature!
S’il fallait lui trouver des ancêtres, peut-être pourrait-on dire qu’en ce qui concerne la couleur, expression de la lumière, il se situe dans la lignée de Monet. Pour la composition, il serait de la famille de Cézanne. Il est aUssi, et c’est bien naturel, dans l’esprit de Paul Renouard, peintre-graveur, son grand-père.
Peut-être est-ce de lui qu’il a hérité de ce goût pour le ,trait, le trait fin et souple des maîtres graveurs que l’on trouve dans toutes ses peintures, organisant les zones colorées, reliant entre elles les structures. Mais l’important est que, des enchevêtrements dessinés sur la toile, naisse une parfaite unité. Tout autre que Baron-Renouard se perdrait dans cette aventure dont la réussite est sa réussite et sa marque. Une marque permettant d’être déjà certain que son oeuvre restera.
Auteur : Jean-Pierre Missoffe, peintre (1918-2010)
Support : Le demi-siècle n°224
Date : sept-oct 1973