Sa propre liberté, Alexander Watt

SA PROPRE LIBERTÉ

« Une peinture qui est sans mystère, a peu d’intérêt pour moi » disait Baron Renouard quand nous discutions récemment sur la tendance de l’Art contemporain. Le mystère fascinant d’une peinture, déclarait-il, est situé quelque part entre le réel et l’abstrait.

François Baron-Renouard
Portrait de Baron Renouard dans son atelier

Lors de l’exposition de 1960, organisée par la Valley House Gallery, au Texas, j’avais pu observer que la clarté de vision imaginative constituait l’un de ses dons majeurs. Si parfois ses compositions de couleurs peuvent sembler au « nu de la toile », une observation plus attentive révèle une profondeur qu’il atteint par une surimposition extrêmement réfléchie de différentes valeurs de tons et par une technique de décapage et de peinture en creux, analogue aux procédés de la gravure, et qui aident puissamment à la qualité plastique de ses toiles. Cet aspect ressort tout particulièrement des œuvres actuellement présentées cette année, à Dallas.

Baron-Renouard prend la nature ou le monde extérieur comme source principale de son inspiration et tente, d’une manière purement subjective, de fixer dans sa peinture toutes les sensations éprouvées au contact de ce monde du dehors. Ces sensations, qu’il conserve de mémoire, se sélectionnent de façon réfléchie en lui et se purifient avant de réapparaître sous la forme d’une œuvre d’art. On peut ainsi dire de Baron-Renouard qu’il est le peintre le plus représentatif de cette tendance. Lorsqu’il alla au Japon, pour la première fois en 1960, l’artiste rentra le cœur profondément marqué par l’esprit de beauté de ce pays. Depuis, au travers des recherches vers la recréation des sensations éprouvées, cette émotion a transparu dans son tableau «Hommage à Hiroshige», qui reflète admirablement sa philosophie, son incarnation de l’Art.

En dépit de ce qu’on pourrait appeler son naturalisme abstractif et visuel, Baron-Renouard ne s’intéresse en rien à la reproduction de la forme extérieure, mais cherche plutôt en son sujet un thème d’inspiration. La peinture de style contemporain, toute interpénétrée de langage abstrait, ne présente aucune description visuelle de la nature, mais transmet le propre sentiment poétique de l’artiste grâce à des couleurs, riche d’une symbolique complexe et de nuances recherchées ? Il y a en lui une magie étrange qui rend perceptible la plus infime émotion. Toutes ces nuances prouvent la réceptivité intense et fondamentale de son œuvre et son individualité artistique qui est d’une essence exceptionnellement raffinée.

Baron-Renouard a étudié les Flamands, les Primitifs Italiens et a une admiration particulière pour Carpaccio, ce qui explique sans doute la construction bien ordonnée de ses compositions. Depuis toujours, il travaille en accord avec la règle du Nombre d’Or, avec une telle précision, qu’il trouve rarement utile d’en préparer sur la toile vierge, le schéma mathématique, il sait instinctivement si sa composition est bien équilibrée.

Lors d’une conversation toute récente dans son atelier parisien de la rive gauche, l’artiste me confiait que « la sensibilité intime de l’expression d’un peintre sur sa toile dépend de la technique qu’il utilise, technique qui s’exprime en notions detransparence, d’opacité, de glacis et de frottis…

« Je vois que votre vision et votre approche d’ensemble de l’art est de plus en plus abstraite », lui fis-je alors observer. Baron-Renouard me répondit en ces termes : »La qualité spirituelle et la philosophie d’une personne relèvent de l’abstrait. L’apparence que revêt la nature, cependant, n’est pas de l’abstrait. Transposer sur la toile la chaleur du soleil est une chose, mais le rayonnement en lui-même demeure intrinsèquement abstrait. Comprenez-moi. Une colline ou une plage sont bien concrètes au moment où vous les regardez, mais un ou deux ans plus tard, quand leur image a été absorbée par votre esprit, elles ne sont plus concrètes, elles sont sublimées, elles sont devenues abstraites dans leurs formes ». « Voulez-vous dire », demanderai-je alors à Baron Renouard, « que vous évitez ce qu’il est convenu d’appeler l’anecdote, dans votre façon de voir votre sujet ? ». J’appris alors que l’anecdote est une approche malheureuse du sujet lui-même.

Après une longue discussion sur les mérites de Cézanne (en tant que père de l’Art contemporain), Baron Renouard en vint à conclure : « Cézanne avait une vue prismatique très personnelle de ce qu’était une montagne comme la Sainte-Victoire, par exemple, de ce qu’était une pomme, etc…. Il cherchait à découvrir les lois de la décomposition de la lumière et je le considère comme un peintre de laboratoire ».

Je racontais à Baron Renouard que j’avais eu la chance de connaître Mondrian lorsqu’il vivait à Montparnasse et lui demandait lequel des deux, selon lui, se révélait avoir eu la plus grande importance quant à l’influence qu’ils avaient, séparément, exercé sur l’Art contemporain. Selon lui, si Cézanne était un naturaliste né, Mondrian était tout à l’opposé, obsédé par l’expression géométrique de son art sur la toile. Revenant à la charge, je lui demandais alors : « Lequel des deux considérez-vous donc comme le plus important ? » – « C’est une question à laquelle il est bien difficile de répondre », s’esquiva-t-il. J’avoue éprouver le besoin de voir et d’apprécier l’œuvre de Cézanne, sa limpidité d’expression et l’approche si délicate de sa vision de la nature. Mais, j’ai besoin tout à la fois de la vision plus rude, plus géométrique et plus sobre de Mondrian ».

En conclusion, je citerai, pour définir l’art de Baron-Renouard, un passage de Hegel : « Ce n’est que lorsqu’il a atteint sa propre liberté que l’art pictural rejoint les sommets de l’art véritable. Il ne peut assumer son rôle véritable que lorsqu’il s’est élevé jusqu’aux sphères où résident la religion et la philosophie et ne s’est mué en un des modes d’expression ou de figuration de la conscience des intérêts divins, essentiels de l’homme, de ses vérités spirituelles les plus communautaires. Cet art s’apparente alors à la philosophie et à la religion, mais s’en écarte sur un point : l’art peut exprimer même le sublime sous une forme sensuelle et le rendre ainsi, sous son apparence naturelle, plus proche de nos sens et de notre sensibilité ».

Notes et références :
Objet : Préface
Auteur : Alexander Watt, critique d’Art
Exposition : Valley House, Dallas
Lieu : Dallas, USA
Date : 1962