Un promeneur doté d’un œil de lynx, Jean Rollin, critique d’art

Tant dans la tapisserie que sur la toile, cet artiste se préoccupe avant tout d’une vision sublimée des choses.

PAS plus que son grand-père, le talentueux peintre et graveur Paul Renouard, illustrateur de la vie moderne largement représenté au cabinet des dessins du Louvre, Baron-Renouard ne travaille enfermé dans une tour d’ivoire. Cet ancien élève de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, qui participa en qualité d’officier aviateur aux campagnes d’Afrique du Nord, d’Alsace et d’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, a toujours témoigné d’une activité saisissante, tant du point de vue de sa création que de ses responsabilités au service des artistes. En même temps qu’il réalise des décorations murales pour des bâtiments publics, ses envois figurent dans de nombreuses expositions particulières ou collectives en France et à l’étranger. Président du Comité français de l’Association internationale des arts plastiques pour l’UNESCO et de la section peinture du Salon d’automne, Baron-Renouard est secrétaire général de la Maison des artistes.

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Nouveaux Rivages, 190×420

Son exposition actuelle, à la galerie Inard, est principalement consacrée à la tapisserie, qu’il ne traite pas à la légère. Il ne numérote pas ses cartons, en raison des difficultés qu’il y aurait à codifier les nuances de certains passages, transition entre deux tons ou dégradés dans un même ton, que l’artiste et son lissier peuvent déterminer ensemble. Le carton est peint dans les coloris que doit rendre le lissier en jouant de la variété des fils de soie, de coton, de chanvre ou de laine. Les tons clairs du coton et du chanvre par exemple, ne sont pas les mêmes. Le recours à des points de grosseur différente permet de moduler les surfaces. Le cuivre, comme dans «Fils d’Ariane», remplace l’or et l’argent mêlés à la laine et la soie des tapisseries bruxelloises du XVIe siècle.

Le caractère monumental de la douzaine de grandes pièces, de trois à neuf mètres chacune réunies ici, procède de l’immensité du champ d’inspiration qu’elles embrassent. Voyageur passionné de l’Extrême-Orient, qu’il a souvent parcouru et dessiné en avion, le peintre exalte, dans son interprétation éclatante de «Kyushu», le tourment des paysages aux roches volcaniques de l’île du sud du Japon. Vers Hong Kong, l’esprit qui imprègne sa vision aérienne des choses rejoint en compositions poétiques et vivantes la manière de traduire de vastes sites chez les auteurs de rouleaux chinois. Dans «Jonque», «Matin bleu», «Nouveaux Rivages», entre terre et ciel l’interprétation non représentative mais sublimée de l’eau et des sommets magnifie les transpositions plastiques de Baron-Renouard. Il me confie, devant «Métamorphose»: «C’est un mélange de nature et de ce qu’on a en soi. L’abstraction n’existe pas.»

Vantant la faculté de «perception lyrique» de notre peintre, Waldemar George, l’un de ses premiers critiques, désignait en lui «ce promeneur doté d’un oeil de lynx». Il l’est resté dans les tapisseries de lumière dédiées à sa Bretagne natale: «Soleil d’Armor», «Chanson de l’île» (de Sein, de Batz…), avec les rochers, le sable, les vagues et, note l’artiste, «le graphisme qui amène la composition».

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Chansons de l’Île, 190×230

Celle-ci se développe en harmonies à base de bleu violet ou violet bleu, rouge orangé, gris brun et, très rarement, jaune ou vert. On retrouve ces couleurs, quintessenciées, avec effets de matière, dans dix-sept petites toiles et des aquarelles de caractère également monumental, sur les thèmes de l’espace, de la mer et du vent, qui veulent souligner la parenté de la peinture et de la musique. Baron-Renouard souhaite que son oeuvre soit «un lien entre le peintre-émetteur et le spectateur-récepteur qui regarde».

JEAN ROLLIN. le 27 Mai 1993 (Article de l’humanité)

Galerie Inard, 179, bld Saint-Germain, 75007 Paris. Tél.: 45.44.66.88. Exposition ouverte jusqu’au 6 juin 1993. Entrée libre.

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