La frontière intérieure, André Verdet, écrivain

LA FRONTIERE INTERIEURE

ANDRE_VERDET 1996
André Verdet, écrivain, 1996

…Les toiles de Baron-Renouard m’apparaissaient comme autant de poétiques paysages intérieurs. Une sorte d’extase-exaltation devant la Nature…

Voici quelques années, lors de la Biennale de Peinture à Menton, un envoi m’avait longuement retenu en raison de ses allègres qualités de peinture en soi : l’évident plaisir de peindre affirmant sa nécessité par de là même les problèmes de la technique, laquelle s’avérait sans faille. Les toiles de Baron-Renouard m’apparaissent comme autant de poétiques paysages intérieurs, paysages parcourus d’effluves où force, mystère, panique se conjuguent au rêve, à la tendresse, à l’intelligence humaine en quête d’unité, d’union pacificatrice. Une sorte d’extase-exaltation devant la Nature, qui se transmutera en action picturale.

Plus tard, je fis la connaissance de l’artiste. Après avoir apprécié l’œuvre, il me fut agréable d’estimer l’homme. J’appris l’affection qu’il vouait à la mémoire tutélaire de son grande-père, le peintre-graveur Paul Renouard, ascendance qui détermina en grande partie sa vocation. J’appris encore sa participation en tant qu’officier aviateur, lors de la dernière guerre, aux campagnes d’Afrique du Nord, d’Alsace et d’Allemagne. Je savais déjà ses multiples activités sociales, son dévouement à la cause des arts et des artistes, les responsabilités qu’il assumait.

Par le cheminement du temps et de l’amitié, les données, les caractéristiques de son travail se révèlent avec plus de netteté à l’attention que je leur portais. J’en ressentis mieux la densité, la charge poétique, exprimées par une rythmique gestuelle pleine d’allant.

Par le moyen de la Nature, prise au départ dans sa réalité ambiante, mais déjà dépouillée à l’extrême, synthétisée, Baron-Renouard tend à nous signifier d’une manière allusive et sensible, la présence, la continuité d’un dynamisme cosmique.

Un tableau de Baron-Renouard c’est avant tout un espace vibrant où les premières sensations éprouvées devant un spectacle de la Nature, enfouies ensuite dans le subconscient, se projettent en équivalences de formes et de couleurs après que le psychisme les ait « traitées » dans son laboratoire.La critique a pu justement dire que l’art de cet artiste racé, se situe dans le courant de la peinture post-abstraite formelle et qu’il était l’un des représentants-types de ce que Henry Galy-Carles nomme le Naturisme Imaginaire Abstrait.

La démarche en est à la fois ample, souple, libre et parfois d’une violence secrète. Violence contenue dans l’harmonie unificatrice des éléments graphiques et chromatiques. Les masses colorées se meuvent, s’organisent, se répartissent à la façon de thèmes musicaux. Elles s’orchestrent. Elles deviennent des timbres. Ces timbres réagissent les uns sur les autres avant de se fondre dans le chant général de la composition. Baron-Renouard ne dénie pas son travail ce lien affectif avec la musique.

Je disais espace vibrant : la couleur en est alluvionnaire, fluidique, comme aiguisée, affûtée de lumière fine, – lumière égale et égalisatrice. Couleur-éclatement, couleur-éclaboussure, couleur-giclure, couleur-coulée. On songe à des texturologies spatiales, qu’elles soient celles du domaine des airs, des terres ou du domaine des eaux.

Tantôt espace compact, « bourré » où les masses se confrontent, poussent, pèsent, vers le haut, vers le bas, latéralement, s’interpénètrent, puis se fixent dans un équilibre statique- dynamique. Tantôt espace allégé, qui se définit dans l’envol limpide des formes aériennes.

On a parfois l’impression d’un surplomb atmosphérique d’un pays, avec ses variantes géographiques en raccourci à l’infini : transpiration, sublimation de la vision du peintre se superposant à la vision de l’aviateur.

La profusion des masses tonales, des foyers lumineux et chromatiques reposent néanmoins sur une structure interne rigoureuse, une linéarité fonctionnelle qui a su s’effacer. Que l’on s’approche de ses masses, le dessin se révèlera en filigrane comme se révèlera une multitude vivante de graffitis-signes, sortes d’éléments cavernicoles sous-jacents qui finissent par rejoindre, petites peuplades en marche sous le couvert des formes colorées, des lumières et des ombres, l’ordre général du tableau.

C’est par un lent travail de ponçage à l’aide de papier-verre que se découvre et réapparaît comme en surimpression le travail antérieur des matières, les premiers signes enfouis, toute une composition initiale et dirais-je initiatique.

On devine que le détail, infime soit-il ; « piquetage » des signes sont une délectation, une jouissance pour le peintre tellement ces micro-choses s’inscrivent avec ferveur, celle à la fois minutieuse, éblouie et forte d’un artisan-orfèvre ou d’un typographe d’art. (Il est vrai que Baron Renouard connaît parfaitement les problèmes de mise en page et de typographie puisqu’il eut naguère la direction artistique de maintes revues).

Importance, donc, du ponçage dans son travail puisque le papier-verre devient un outil unificateur qui, tout en assurant la fluidité des passages, apaise bien des colères, des virulences, des bagarres que le pinceau ou l’éponge avait précédemment provoquées. La toile n’en demeure pas moins, dans son ensemble, espace-matière, espace-ductile.

Le peintre est un beau coloriste. La qualité, la noblesse des tons sont d’autant plus grandes qu’elles tirent leur expression de leur efficacité. Couleurs-valeurs dont le substrat est de l’ordre intérieur, psychologique, chargé d’intentions. Nous revenons aux timbres, à la musique. Couleurs-valeurs dont la richesse substantielle est constituée par l’apport de diverses couches superposées où s’amalgament souvent des tons sur tons, où des blancs jouent avec des pigments différents. Sensualité du matériau, sensualité sourdement chatoyante : on sent que le peintre est l’amant de sa toile. Les violences s’y accordent aux caresses dans le mystère de l’acte d’amour.

L’emploi du collage, tissu et papier, renforce parfois la hardiesse chromatique en créant volontairement des périls, une disharmonie brutale dans l’orchestration : contre-point sonore d’orgue.

A. verdet et Baron Renouard en 1973

Epousailles des formes contrastées, épousailles des tons : des bleus, des jaunes, des gris, qui s’irisent… des faveurs pour des violets, des mauves, des oranges. Puissance du souvenir, du temps qui passe, un rien de nostalgie, de regret, puis vient l’appel inexorable, triomphant de la vie forte, de l’espoir irradiant : la gloire d’une lumière qui revient toujours pour assurer la Présence – celle de la Nature, des espèces, celle de l’Homme enfin.

La peinture de Baron Renouard franchissant ses occultes frontières intérieures, offre généreusement à notre regard la profondeur, la luminosité d’une CERTITUDE.

Notes et références :
Préface d’André Verdet, écrivain
Exposition : Exposition particulière de Baron-Renouard
Lieu : Château-Musée, Cagnes-sur-Mer
Date : 1973