Etude par Louis Vaunois – 1922 – 1ere Partie

PAUL RENOUARD

Un homme qui, sans arrêt, sans fatigue, sans idée préconçue, regarde : voilà Paul Renouard. Des cheveux frisants sur les tempes, des moustaches de chat et une barbe en pointe : ce n’est que l’encadrement. Les yeux grands ouverts sont le principal : aussi frais que des yeux d’enfant, ils trahissent un étonnement indefectible devant le spectacle de la vie. Ils conservent une candeur ; ils disent : « A les voir commes elles sont, les choses sont vraiement cocasses. » D’un bleu pâle vers la circonférence de l’iris, plus verts auprès de la pupilles où confinent des parcelles d’or, ils me consdères bien en face, mais si doux que je ne crains pas leur lucide intérrogation : « Qui es-tu ,toi qui viens ? Tu ne me gênes pas. Tout ce e qui se présente est beau à voir. Je fais mon profit de tout, même de toi. »

Une lumière de gaité ne quitte pas ce regard. Lorsqu’un jour j’aurai exprimé à Paul Renouard l’intention de publier quelques-unes de nos conversations, il égréna son rire à la fois pein et mesuré : ne cachant pas son nouvel étonnement, il demandera : « Comment ? Je serai donc connu dans mon pays ? » Gentillesse factice ou banale dans la bouche d’un autre. Ici, la stupéfaction la plus savoureuse. Enfant de Cour-Cheverny, il ne sera donc pas connu seulement de l’Angleterre, de l’Amérique et même du Japon, que ces cartons ravissent comme des exemples parfaits ? On parlera de lui, chez lui ! Consécration suprême : il la déclare tout bonnement « inouie » !

Il faut voir l’homme. L’attitude toujours aisé, son petit chapeau mou, posé en auréole noir sur l’arrière de sa tête, il aime se tenir debout ; il semble prêt à se rendre à l’endroit où quelque chose se passera. Il se déplace perpétuellement sans hâte. S’agit-il d’aller loin ? Celà ne l’effraye pas. Au contraire, il adore les voyages. Il s’en fut aux Etats-Unis non moins allégrement que s’il avait traversé la Seine qui roule glauque et lourde sous ses fenêtres. Dernièrement, autre occasion de voir du pays : il avait au Musée du Luxembourg un portrait de Monsieur Mollard ; or M. Mollard a été notre ambassadeur au Grand-Duché du Luxembourg ; la Grande-Duchesse formula le désir d’obtenir l’oeuvre. On demanda l’autorisation à l’auteur. « Bien sûr que je consentais à ce qu’on lui envoie mon tableau ! Il sera là-bàs : j’irai le voir ! « 

Et il faut entendre Renouard. Une voix calme, aussi nue que ses yeux, et qui va tout à fait bien avec eux. Une jolie parlure de chez nous. Pas l’accent parisien : Renouard prononce l’r vibré mollement. Entre beaucoups de cractéristiques, il a gardé celles-là de Blois. Et, comme chacun sait, « Blouès, c’est le pays qu’on parle ben ».

Le délicieux causeur ! Anatole France de possède pas autant de facilité. Renouard ne cherche pas ses mots : rien ne fait trait, tout coule de source; tout est de l’homme, tel qu’il respire. Tout dégage une philosophie ; et si plaisante ! La pensée n’a pas besoin d’un ragoût de moquerie. C’est tellement plus rare, être drôle sans être malin. « On ne se doute pas de ce que la vie est rigolo, explique Renouard. Il ne faut pas chercher à la rendre comique : la caricature est un non-sens ; effort inutile, mais indigne aussi. Il suffit de montrer les choses telles quelles. » C’est pourquoi Renouard se borne à décrire. Certains gens font des mots cinglants, on les proclames profonds, ils ne sont que rosses; tristes au surplus, à porter le diable en terre. Lui, il est la simplicité. Sa voix unie raconte les mobiles quotidiens de l’action, les humbles dessous de l’âme, le pauvre mécanisme humain. Emerveillé lui-même,  il vous découvre cent petites observations : chacune contient adorablement la grande pitié de la vie. Il n’est pas blasé, il est indulgent. Il y a là une véritable profondeur à laquelle n’atteindra jamais la désinvolture cruelle de telle railleur célèbre. Profond, mais de bonne humeur : c’est un miracle !

Lire la suite

Comments are closed.